France-Allemagne – quelques points d’attention en matière immobilière
France-Allemagne- Quelques points d’attention en matière immobilière
Par
Irina Grillmeier Rechtsanwältin, PwC Stuttgart, Allemagne
et
Laurence Riester, Avocate PwC Strasbourg, France
Lorsque des investisseurs étrangers cherchent à investir en France et à acquérir des biens immobiliers, ils peuvent être tentés de raisonner avec leurs propres réflexes et connaissances nationales.
C’est bien souvent précisément ce qu’il ne faut pas faire et, au contraire, les réflexes acquis dans un pays doivent parfois être oubliés lorsque l’on franchit la frontière ! La situation de la reprise d’une activité polluante française par un investisseur allemand peut apparaître comme particulièrement représentative et intéressante puisque les divergences entre réglementations allemandes et françaises peuvent être lourdes de conséquences.
Habitués, au sein du réseau PwC, à conseiller des clients étrangers, et, à Strasbourg, plus particulièrement allemands, nous avons pu identifier un certain nombre de points d’attention. Concrètement, les divergences entre le système juridique allemand et le système juridique allemand en matière immobilière pourraient donc être les suivants :
I. LA PUBLICITE FONCIERE
En droit allemand, il faut inscrire au livre foncier un titre de propriété d’un bien immobilier pour qu’il produise ses effets, les inscriptions qu’il contient sont opposables aux tiers et probantes entre les parties. Le système du Livre Foncier alsacien-mosellan est comparable.
La « Vieille France » et le droit commun ne connaissent pas ce régime : la publicité foncière permet d’assurer l’information et la protection des tiers mais une inscription au service de la publicité foncière ne fait pas foi et n’est pas opposable aux tiers ce que les investisseurs allemands ignorent souvent. Elle ne tend, en effet, qu’à informer les services fiscaux pour la taxation par la tenue d’un fichier immobilier.
II. RESPONSABILITE DE LA POLLUTION DES SOLS
En droit allemand, c’est l’auteur responsable des pollutions mais également, potentiellement, le propriétaire du terrain concerné qui sont responsables par priorité. Les praticiens ont dès lors régulièrement la possibilité d’observer qu’un investisseur allemand reprenant, en France, un site pollué ou susceptible de l’être, dans le cadre d’un bail commercial, pouvait nourrir l’idée, inexacte, que la pollution n’était pas un sujet puisqu’elle relevait, dans son esprit, de la responsabilité du pollueur ou du propriétaire du terrain sur lequel étaient érigés les bâtiments à louer.
Il importe donc d’attirer l’attention des investisseurs étrangers, plus particulièrement allemands, sur le fait que le droit français retient la responsabilité trentenaire du dernier exploitant et non du propriétaire ou du pollueur effectif. C’est donc d’abord au dernier exploitant de l’installation située sur le site pollué que s’adressera l’administration française et non au propriétaire bailleur en cas de location ou au responsable effectif de la pollution.
Pour autant, il convient également de rappeler aux investisseurs étrangers que, dans des rapports de droit privé, la personne considérée comme responsable par l’administration française en tant que dernier exploitant pourra se retourner vers le véritable responsable (par ex. : appel en garantie en cas de contentieux, garantie à première demande dans un contrat)
Il est donc nécessaire que les investisseurs étrangers aient cette règle à l’esprit lorsque l’ils décident d’exploiter une installation classée dont le terrain est potentiellement pollué. Ceci implique, principalement, de procéder à un audit environnemental avant d’acquérir et, si l’exploitant n’est pas propriétaire du site, de veiller à régler la question des responsabilités pour les pollutions anciennes et futures lors de la négociation du bail commercial, les clauses « pollution » et « état des lieux » devant être rédigées avec grand soin.
III. LES BAUX COMMERCIAUX
A. Régime : rigidité française et souplesse allemande !
Compte tenu de la spécificité française du régime des baux commerciaux, on peut, une fois n’est pas coutume, opposer la rigidité du cadre français à la souplesse du régime allemand.
Il n’existe en effet pas de régime spécifique en Allemagne : c’est le Code civil qui s’applique et les parties disposent d’une grande liberté dans la négociation de leurs clauses. En revanche, dès lors que la durée excède une année, la forme écrite est requise.
En France, en revanche, il convient de respecter le « statut des baux commerciaux » c’est-à-dire un ensemble de règles d’ordre public qui s’appliqueront malgré la volonté contraire des parties. Ces règles trouvent obligatoirement application dès lors que les critères suivants sont réunis : (i) existence d’un local loué (ii) à titre onéreux (iii) à une personne morale immatriculée au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers (iv) pour y exploiter un fonds de commerce. Lorsque ces critères sont constitués, le bail commercial existera même en l’absence d’écrit.
B. Propriété commerciale
Parmi les spécificités de la réglementation française, c’est la « propriété commerciale » qui distingue essentiellement le bail commercial français : on nomme ainsi le fait pour un locataire de pouvoir bénéficier d’une indemnité d’éviction si son bail n’est pas renouvelé (en dehors d’hypothèses légales limitativement énumérées).
Cette « propriété » n’existe pas en droit allemand mais le bail peut contenir une clause de reconduction automatique ou une clause d’option selon laquelle le preneur pourra unilatéralement exiger la reconduction du contrat. A défaut d’une telle clause et en l’absence d’une faute de la part du bailleur, aucune indemnité n’est due au locataire à l’expiration ou la résiliation du contrat.
C. Clauses financières
En Allemagne, nouvelle différence avec notre système juridique : le loyer est libre et non plafonné. Une clause d‘indexation automatique sera rare et ne sera valable que dans les trois hypothèses suivantes :
(i) si la clause prévoit une indexation sur l’indice du coût de la vie et une durée minimale de 10 ans ;
(ii) ou si le locataire peut prolonger la durée du bail de 10 ans ;
(iii) ou si le bailleur a renoncé à son droit de résiliation au minimum pendant 10 ans pour un contrat à durée indéterminée.
En France, le loyer est plafonné (c’est-à-dire : limité à la hausse) si le bail initial n’a pas une durée supérieure à 9 ans ou qu’il ne se poursuit pas tacitement au-delà de 12 ans. En dehors de ces hypothèses, il faudra mettre en évidence un motif de « déplafonnement » pour pouvoir l’augmenter librement, notamment en mettant en évidence l’évolution des facteurs locaux de commercialité.
Les clauses d’indexation sont quasi-systématique en pratique et permettent de faire évoluer le loyer en fonction d’un indice en lien avec l’objet du bail (indice des loyers commerciaux, indice du coût de la construction, indice des loyers des activités tertiaires).
D. Importance de la durée du contrat
En Allemagne, le bail peut être un contrat à durée déterminée (CDD) ou indéterminée. Lorsqu’il s’agit d’un CDD, les durées observées sont souvent de 5 ou 10 ans.
Lorsque la durée est indéterminée, la résiliation est possible avec un préavis de 6 mois pour la fin du trimestre. Lorsqu’il y a un contrat à durée déterminée, la résiliation avant le terme sera possible pour faute grave
Un investisseur allemand ne sera donc pas spontanément réticent à signer un bail d’une durée de dix ans. Or, en France, l’acceptation d’une telle durée peut être défavorable pour un locataire.
En effet, en matière de baux commerciaux, la durée du contrat est de 9 ans minimum mais, en vertu de dispositions impératives d’ordre public, le locataire a toujours le droit de donner congé tous les trois ans avec un préavis de six mois.
Toutefois, il faut songer à attirer l’attention des investisseurs étrangers sur le point suivant, qu’ils méconnaissent généralement : si la durée est supérieure à 9 ans :
d’une part le loyer du bail pourrait être déplafonné ;
d’autre part si la durée initiale du bail est supérieure à neuf ans, alors le droit du locataire de résilier tous les trois ans n’est plus impératif et il est possible d’y renoncer conventionnellement, notamment en imposant des baux de dix ans fermes par exemple.
Il faut donc être vigilant lors de la négociation de la durée, notamment si l’on est locataire et peu au fait des pratiques et règles françaises. Nombre d’investisseurs étrangers se sont ainsi vus proposer des baux d’une durée de dix ans ou plus, probablement pour les raisons exposées ci-dessus, et l’ont acceptée, sans consulter préalablement leurs conseils et sans en mesurer les potentielles implications.
E. Travaux – mise en conformité
En Allemagne, la mise en conformité des locaux, de même que les travaux et frais d’entretien et réparation relèvent généralement du bailleur, les frais d’exploitation pesant en revanche sur le locataire. Les réflexes allemands ne sont donc pas les nôtres !
En France, en effet, les « grosses réparations » de l’article 606 du Code civil, c’est-à-dire, en substance, celles qui affectent l’immeuble dans sa structure et sa solidité, pèsent obligatoirement sur le bailleur (disposition d’ordre public) et, en pratique, les travaux nécessités par la vétusté et par la mise en conformité du local reviendront contractuellement au preneur, en tenant compte de son activité.
F. Non concurrence
En droit allemand, il incombe au bailleur de ne pas installer dans les locaux voisins dont il est propriétaire, un concurrent du preneur. Cette obligation existe de plein droit et n’a pas à être formalisée dans le contrat.
En France, en revanche, cette obligation n’existe pas de plein droit et l’on n’observe pas de pratique systématique consistant à insérer des clauses de non-concurrence au profit du locataire et à respecter par le bailleur.
Compte tenu de ces divergences notoires entre les droits français et allemand, il importe de quitter ses vieux réflexes lorsque l’on veut négocier en matière immobilière de l’autre côté du Rhin, que l’on soit une société allemande investissant en France ou l’inverse.
Dans cette perspective, lors d’un investissement étranger en France, les praticiens auront d’ailleurs probablement eux-mêmes l’occasion de revenir sur leurs propres réflexes et habitudes : ils pourront, en effet, se limiter au respect du régime d’ordre public mais abandonner leurs modèles habituels pour les clauses relevant de la liberté contractuelle, en prenant en considération les demandes de leurs clients étrangers et en s’inspirant de certaines pratiques étrangères !