Le prélèvement à la source : bing bang ou simple changement de la méthode de collecte de l’impôt sur le revenu ?
Le prélèvement à la source : Bing Bang ou simple changement de la méthode de collecte de l’impôt sur le revenu ?
Par Eléonore Guesnerot, Avocate, département droit social
et Manon Ott, Avocate, département droit fiscal
PwC
Après quelques modifications et beaucoup de discussions, le prélèvement à la source entrera en vigueur le 1er janvier 2019.
Cette réforme est un profond changement pour les contribuables soumis à l’impôt sur le revenu, particulièrement pour les salariés, qui voient leurs modalités de paiement de l’impôt considérablement modifiées, et pour les employeurs qui deviennent collecteurs d’impôt comme en matière de cotisations sociales.
En effet, s’agissant des salariés, les acomptes d’impôt sur le revenu seront prélevés directement sur leur salaire par leur employeur lors de l’établissement des bulletins de paie.
Si le gouvernement se veut rassurant sur la mise en œuvre de cette réforme, il est évident qu’elle engendrera des questions de la part des salariés auxquels l’employeur sera contraint de répondre. Il est en effet peu probable, en pratique, que l’employeur souhaite ou puisse se contenter de renvoyer ses salariés vers son centre des impôts pour toute question.
La communication en amont des employeurs vers leurs salariés nous parait être la solution la plus efficace pour éviter des questions récurrentes de chaque salarié auprès de leurs interlocuteurs au sein de l’entreprise.
Le principe du prélèvement à la source
Si cette réforme ne modifie pas le montant final de l’impôt sur le revenu dû par le contribuable – mais uniquement ses modalités de paiement – les prélèvements mensuels sont, dans la plupart des cas, supérieurs aux mensualités qui étaient payées par le contribuable sous l’empire de l’ancien mécanisme de mensualisation.
En effet, le taux du prélèvement à la source, s’il peut être modulé en fonction de la situation personnelle du contribuable et de son évolution, ne tient pas compte des éventuels crédits et réductions d’impôts. Dès lors, les acomptes prélevés mensuellement sont plus élevés que les mensualités qui étaient acquittées par les contribuables mensualisés.
Le montant du prélèvement est déterminé en fonction d’un des trois taux à la disposition du contribuable :
le taux neutre, déterminé en fonction de la situation d’un célibataire sans enfant,
le taux du foyer, déterminé en fonction des revenus de l’année 2017 du foyer fiscal,
le taux individualisé, calculé par rapport à la situation propre du contribuable, sans prise en compte des revenus du conjoint.
Exemple chiffré :
Monsieur Dupont perçoit un salaire net imposable de 24 000 € soit un salaire net imposable mensuel de 2 000 €.
Madame Dupont perçoit un salaire net imposable de 30 000 € soit un salaire net imposable mensuel de 2 500 €.
Le couple est marié et a un enfant, le foyer fiscal est donc composé de 2,5 parts.
Le couple verse annuellement :
¥ 7 200 € pour la garde d’un enfant de moins de 6 ans, et
¥ 3 000 € au titre d’une pension alimentaire.
Leur impôt sur le revenu brut est de 2 952 € (après déduction des charges déductibles mais avant imputation du crédit d’impôt au titre des dépenses de garde).
Leur impôt sur le revenu net (après imputation du crédit d’impôt pour les dépenses de garde) est de 2 952 € – 1 150 € = 1 802 €.
L’année de transition
En 2019, il n’y aura pas de double prélèvement d’impôt sur le revenu :
¥ l’impôt sur le revenu relatif aux revenus courants (e.g. salaires, pensions de retraite) perçus en 2018 est annulé par un crédit d’impôt modernisation du recouvrement (CIMR) et,
¥ les revenus courants perçus en 2019 font l’objet d’un prélèvement tous les mois.
Les revenus exceptionnels perçus en 2018 ainsi que les autres revenus exclus du champ de la réforme (e.g.par plus-values mobilières et immobilières, intérêts, dividendes, gains sur les stocks options ou les actions gratuites etc.) restent imposés en 2019 selon les modalités habituelles.
Le CIMR est égal au montant de l’impôt sur les revenus de l’année 2018 multiplié par le rapport entre :
¥ les montants nets imposables des revenus non exceptionnels perçus en 2018 et relevant du champ d’application du prélèvement à la source, et
¥ le revenu net imposable suivant le barème progressif de l’impôt sur le revenu.
Il s’impute sur l’impôt dû au titre de l’année 2018, après imputation des réductions et crédits d’impôt ainsi que des prélèvements et retenues non libératoires. Ainsi, les crédits et réductions d’impôts 2018 (imputables sur l’impôt sur le revenu 2018) sont maintenus. L’éventuel excédent est restituable.
Lors de l’établissement de leur déclaration des revenus de l’année 2018 (en 2019), les contribuables devront mentionner les revenus éligibles au CIMR et ceux qui n’y ouvrent pas droit.
En cas de doute sur le traitement fiscal de certains revenus, les contribuables peuvent interroger l’administration et demander un rescrit. L’administration se prononce dans un délai de trois mois sur toute demande précise, écrite et complète présentée par un contribuable de bonne foi.
Le CIMR sera donc déclaré par le contribuable lui-même, sous sa seule responsabilité. Néanmoins, nombreux salariés devraient à cette occasion se tourner vers leur employeur afin de solliciter leur aide sur la qualification d’un revenu perçu en 2018 (e.g. prime spéciale, intéressement, etc.).
Dans ce contexte, les employeurs peuvent eux aussi interroger l’administration sur le traitement fiscal d’un revenu par le biais de la procédure spécifique de rescrit afin de conseiller utilement leurs salariés sur la nature du revenu versé en 2018.
Des modifications récentes concernant les crédits d’impôts et les particuliers employeurs. Le taux de prélèvement à la source ne tient pas compte des crédits d’impôts du foyer fiscal, ces derniers étant pour la plupart amener à varier dans leurs montants voir à disparaître en fonction de l’évolution du foyer et de ses projets.
Ainsi, même s’il est prévu que les crédits d’impôt de l’année 2018 sont maintenus, le fait de devoir attendre la fin de l’année 2019 pour qu’ils soient pris en compte auraient eu un impact négatif sur la trésorerie des foyers.
Pour tenir compte de cette situation liée à l’année de transition, il est prévu que dès janvier 2019, les contribuables bénéficient d’un acompte égal à 60% du crédit et/ou de la réduction d’impôt perçue au titre des dépenses engagées en 2017.
Le versement de cet acompte concerne uniquement les crédits et réductions d’impôt suivants :
¥ crédit d’impôt lié à l’emploi d’un salarié à domicile ;
¥ crédit d’impôt lié à la famille (garde d’enfants de moins de 6 ans) ;
¥ réduction d’impôt pour dépenses de dépendance (EHPAD) ;
¥ réductions d’impôt en faveur de l’investissement locatif (Pinel, Duflot, Scellier, investissement logement dans les DOM, Censi-Bouvard) ;
¥ crédits et réductions d’impôt en faveur des dons aux œuvres, des personnes en difficulté et des cotisations syndicales.
Le solde ainsi que les autres crédits et/ou réduction d’impôt (e.g. Crédit d’impôt transition énergétique (CITE)) seront versés au cours de l’été 2019 suite à la déclaration des revenus 2018 faisant état des dépenses ouvrant droit aux crédits et/ou réductions d’impôt.
Focus sur les particuliers employeurs
Les particuliers employeurs sont également visés par la réforme de l’impôt sur le revenu et devraient à ce titre collecter mensuellement l’impôt sur le revenu de leurs salariés à domicile.
Bien conscient qu’il était nécessaire de prendre en compte leur situation particulière d’employeur « occasionnel », le projet de loi de finances pour 2019 présenté par le gouvernement est venu préciser que le prélèvement à la source n’entrera en vigueur pour cette catégorie de salariés qu’au 1er janvier 2020. A cette date, une plateforme devrait être mise à disposition des particuliers employeurs afin de leur permettre de gérer l’intégralité des prélèvements à effectuer.
Les salariés concernés se verront quant à eux soumis à un régime d’acompte qui sera prélevé mensuellement sur leur compte bancaire entre septembre et décembre 2019. L’imputation de cet acompte s’effectuera ensuite sur l’impôt sur le revenu du au titre de 2019. En cas de solde à payer supérieur à 300 € et à la moitié du montant de l’impôt dû, un échelonnement exceptionnel entre septembre 2020 et décembre 2021 est possible.
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Les dispositions de cette réforme sont amenées à évoluer avec la pratique et les difficultés qui seront rencontrées.
Il convient de rappeler que la France est un des derniers pays en Europe à ne pas pratiquer le prélèvement à la source, ce qui tend à démontrer que cette modalité de paiement de l’impôt a su s’imposer au plus grand nombre notamment du fait de sa souplesse et de sa réactivité.
Avant cette réforme, le moindre changement dans la situation du contribuable (perte d’emploi, départ à la retraite, vacance locative…) risquait d’entraîner des problèmes de trésorerie du fait du décalage entre la date de perception des revenus et la date de paiement de l’impôt.
Au contraire, en payant l’impôt sur les revenus de l’année en cours, l’impôt s’adaptera plus rapidement à la situation du contribuable.
Ces avantages seront plus visibles une fois que cette réforme sera mise en œuvre et maîtrisée par tous ses acteurs. Ainsi, pour l’année 2019, il est conseillé aux employeurs, pour conduire ce changement, de communiquer en amont avec leurs salariés afin d’anticiper les situations de blocages à naître.